Sérénité de l'esprit

 

 

Le docteur Walter Moissac était un membre éminent de notre Société psychanalytique, mais il était aussi un personnage fort extravagant ; non pas parce qu'il s'intéressait aux fantômes, mais par le lien qu'il établissait entre ce sujet et la psychanalyse qu'il cultivait.

En effet, dans ses grandes lignes, il affirmait l'idée que les fantômes peuvent s'expliquer en termes d'anxiétés résiduelles accompagnées d'une extériorisation visible que l'on peut apparenter à une psycho-somatisation. S'agissant d'une pathologie des esprits qui peuvent communiquer, rien n'empêche de concevoir, à condition qu'ils en aient la volonté, des séances thérapeutiques ; au long de ces séances, apparaîtraient les causes des troubles, c'est-à-dire les facteurs traumatisants enfouis ; puis la prise de conscience amènera la catharsis libératrice qui, dans le cas qui nous occupe, signifie la dématérialisation de la créature intermédiaire et erratique, enfin devenue sereine et imperceptible. La quiétude de l'esprit, enseignait académiquement Walter Moissac en combinant les sens naturel et surnaturel du mot esprit, est la vocation de toute psychanalyse.

Un deuxième versant de ses réflexions comportait l'hypothèse, tout aussi étonnante, que les fantômes ne sont pas seulement des traces du passé mais aussi des préfigurations ; parmi les esprits qui n'ont pas encore été appelés à exister, les plus impatients infiltrent l'espace de fébrilités incandescentes ; il les appela les Appétences pour les distinguer des Rémanences.

C'est alors que le docteur Walter Moissac commençait à se pencher sur la question de concevoir une psychanalyse, non seulement surnaturelle mais aussi à l'envers, pour apaiser cette catégorie de fantômes sans histoire ni passé, qu'il succomba aux complications d'un surmenage.

Dans le discours des adieux dont on me chargea, j'ai rendu hommage à ses qualités de psychanalyste et j'ai évoqué sa fantomatologie psychanalytique comme l'une de ses excentricités purement spéculatives non dénuées d'inventivité et de fantaisie.

Mais la vérité est que nous ne savons toujours pas avec certitude quel est le degré de sérieux que Walter Moissac prêtait à ses élucubrations ; en sorte que la question fit débat et donna lieu à trois écoles : celle qui prend ses affirmations au premier degré et qui doute du plein équilibre de l'auteur, celle qui croit qu'il y a dans ses textes des vérités ou des messages masqués ou cryptés, et enfin celle qui affirme qu'il se moquait de nous. En ce qui me concerne, je pense simplement que, du fil de ses raisonnements il s'ensuit que si, comme il est probable, Walter Moissac n'est pas tout à fait en paix, s'il éprouve le besoin d'être apaisé, alors il nous reviendra comme Rémanence, peut-être une nuit, à la lueur des Appétences.

 

mars 2012

 

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