Tom et les oiseaux

 

 Chaque année à cette date, notre village de Castanet-les-Grands Champs, prédisposé par son nom, organise un grand concours d'épouvantails. Depuis une semaine, sur le parvis de la Mairie, sur les marches de l'escalier d'accès et même sur les balcons, des épouvantails attendent la distribution des prix.

Certains et certaines sont très réussis : Apache et Le Mexicain rivalisent d'humour, La Semeuse et le couple Angélus de poésie ; plus loin, Spectre et L'Aparirion émergent flottants et surnaturels du feuillage d'un arbre tandis qu'à côté Mariposa gêne un peu Monsieur Hiver en essayant de déployer ses ailes énormes.

Les choses changeant ici comme ailleurs, la modernité a apporté de nouvelles inspirations comme l'épouvantaille Audrey H, habillée d'une belle tenue en agencement de cédéroms, ou Hacker, casquette à visière à l'envers assis devant son ordinateur, ou encore T'est où, un encapuchonné sans visage qui colle à la place de l'oreille son téléphone portable.

Mais personne ne s'attendait à voir un épouvantail humain.

Tom Scott est arrivé hier vers midi sur une vieille moto trépidante, bien joli garçon, vêtu d'une salopette de jardinier et avec une cornemuse sur le dos. Il vient d'Aberdeen en Ecosse où il est étudiant au conservatoire de musique. Comme il n'a pas beaucoup d'argent, pour quatre-vingts livres sterling le week-end, il arpente les champs, au son de sa cornemuse ou agitant des clochettes ou combinant diversement ces résonances, selon qu'il s'agisse d'épouvanter moineaux, pies, merles, perdrix ou corbeaux. Espérant remporter un prix au concours, il a fait dans l'après midi des démonstrations acoustiques sifflantes et résonantes, si efficaces, que pas un seul oiseau n'a osé approcher jusqu'au soir, quand jouant de jolis airs écossais qui faisaient danser épouvantails et humains, pour la première fois, il m'a regardée. Pas n'importe comment regardée.

Je cherchais à ce moment la suite de l'histoire de Tom Scott au concours d'épouvantails, et alors, avec la plus belle couleur que j'ai pu concevoir pour ses yeux, il plongea dans les miens son regard et si loin, qu'il laissa émerger les images qui manquaient : moi et lui, suivis des oiseaux, partant pour de vrai sur sa vieille moto imaginée. Oh Tommy !

 

février 2013  

 

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